N°30 – octobre 2023
Éditorial
Ce trentième numéro de la revue Cliopsy est un numéro varia composé d’articles qui nous sont parvenus en dehors des réponses aux appels à contributions pour les dossiers que nous sommes en train de constituer pour les numéros à venir.
Quatre articles de recherche ouvrent ce numéro 30 qui ponctue quinze années de parution.
Dans Les jeunes migrant·es en mal d’accueil: des adolescent·es inimaginables ?, Svetoslava Urgese et Gaia Barbieri proposent une exploration à deux voix des processus imaginatifs groupaux à l’œuvre auprès d’adolescent·es qui sont en situation migratoire et sont aux prises avec les blancs et les silences de leurs histoires transgénérationnelles. À partir de leur regard rétrospectif sur leurs recherches doctorales et reprenant l’analyse de leurs rencontres avec deux jeunes migrants, elles montrent comment ceux-ci, ignorant tout de leurs histoires, font appel à la potentialité imaginante des collectifs qui les accompagnent et comment ces collectifs doivent faire face à l’inimaginable et à l’indicible du traumatisme migratoire. Elles proposent alors la notion de remembrance imaginante collective comme processus se déployant dans les groupalités qui accueillent ces adolescent·es.
C’est à partir de son expérience de psychologue de l’Éducation nationale intervenante dans une école que, dans son article Analyse d’un conflit au sein d’une réunion institutionnelle – Concurrence d’affiliations, Cathy Luce analyse la dynamique intersubjective qu’elle a repérée entre les différents protagonistes d’une réunion, membres de l’institution scolaire pour les uns et d’une Association de parents d’élèves pour les autres. Au regard des éléments conflictuels qui ont traversé les échanges et, dans l’après-coup, après l’analyse des enjeux singuliers conscients et inconscients qui se sont révélés, elle avance l’hypothèse que des phénomènes liés aux filiations et affiliations respectives des participants auraient été réactivés par « la tonalité émotionnelle groupale » (Bion) qui s’est créée au sein de la réunion et pourraient avoir agi sur la position de chacun des membres à leur insu.
Prenant appui sur son travail de recherche autour de l’enseignement de l’espagnol à des adolescents, Elisa Colay s’intéresse à la place que la fiction peut prendre dans l’écriture clinique. Dans son texte Écriture clinique et fictionnalisation de soi : personnage et dimension narrative, elle part de son questionnement sur la manière dont le travail de transcription qui débute l’analyse d’un discours recueilli auprès d’une personne interviewée déplace celle-ci sur une autre scène en tant que sujet-objet de la recherche. Elle avance qu’en croisant les concepts d’« identité narrative » (Ricœur) et d’« historisation du Je » (Aulagnier) pour penser les investissements narcissiques dans l’acte d’écriture qui sous-tendent le travail d’analyse d’entretiens cliniques, on peut mesurer comment une fictionnalisation de soi peut être une façon de «faire science» en prenant en compte la subjectivité du chercheur.
L’article Accompagnement à la réalisation d’un mémoire clinique d’orientation psychanalytique – Effets de transmission est écrit à trois voix par Narjès Guetat-Calabrese, Laure Lafage et Claudine Blanchard-Laville. Dans le cadre d’un cursus de master professionnel de sciences de l’éducation et de la formation, deux des auteures pratiquent depuis plusieurs années un accompagnement groupal à la réalisation des mémoires d’étudiant·e·s. Dans cet article, elles identifient des effets de transmission dans la construction de leur posture d’accompagnantes en lien avec l’accompagnement par la troisième auteure dont elles ont-elles-mêmes bénéficié lorsqu’elles ont réalisé leur master et leur thèse. L’analyse de certaines séquences enregistrées du séminaire groupal montre que ces deux enseignantes ont des intentions communes quant à la conduite de leur accompagnement en lien avec la transmission reçue. Pourtant, au-delà de cette proximité, apparaissent des différences entre elles dans la mise en œuvre concrète de ces intentions. Le dispositif d’investigation composé des trois auteures a permis d’identifier les caractéristiques de leur signature psychique professionnelle respective et de relier certains de leurs traits à des éléments de leur histoire personnelle.
Les lecteurs et les lectrices trouveront ensuite l’entretien que Philippe Chaussecourte et Patrick Geffard ont réalisé auprès de Laurence Gavarini. Cette dernière y retrace l’histoire de son parcours intellectuel en lien avec son histoire familiale, parcours qui l’a conduite progressivement vers les sciences de l’éducation. Elle souligne à quel point, à la suite de nombreuses expérimentations et engagements dans des expériences professionnelles ou associatives variées, la soutenance de sa thèse a constitué un « moment de bascule » : tandis qu’elle cherchait, avec des outils théoriques rationnels, à penser le monde et à se penser, elle a pu alors entrer en analyse puis fréquenter des institutions analytiques. C’est après être devenue professeure des universités qu’elle renonce à s’installer en tant que psychanalyste et qu’elle rencontre le réseau Cliopsy
La rubrique « Reprises » est consacrée dans ce numéro-ci à une traduction de Group Emotion and Leadership, texte de Fritz Redl paru en 1942 et pour la première fois en français en 1965. Intitulée « Émotions de groupe et leadership », cette nouvelle traduction française effectuée par Catherine Yelnik s’inscrit dans la suite de la diffusion des textes écrits par les pionnier·e·s de la « pédagogie psychanalytique » et périodiquement publiés dans cette rubrique.
Catherine Yelnik et Arnaud Dubois présentent ce texte de F. Redl en revenant d’abord sur le parcours biographique de l’auteur, peu connu aujourd’hui en France et pourtant assez important dans le monde anglo- saxon. Puis ils décrivent les différentes étapes des publications de ce texte, de sa totalité en 1942 à des reprises partielles en 1955 et en 1962, avant la première traduction française en 1965 ; ce qui leur permet de mentionner quelques auteurs qui ont été en lien avec F. Redl et ont permis ces éditions successives. Enfin, après avoir passé en revue les grandes recherches sur les groupes en éducation et formation en France, ils mentionnent l’écho des travaux de F. Redl en sciences de l’éducation depuis la création de la discipline.
Revenant au texte lui-même, C. Yelnik et A. Dubois concluent en soulignant que la conceptualisation de F. Redl permet de dépasser l’idée que les élèves « leaders » dans les classes ont cette place uniquement du fait de leurs caractéristiques individuelles ou de leurs capacités à s’imposer : en effet, son apport montre que cette place résulte aussi de la cristallisation de processus « émotionnels » communs à plusieurs éléments du groupe.
De nombreuses références bibliographiques viennent clore cette présentation.
Ce numéro se termine par la recension de l’ouvrage de Jean-Claude Quentel, La personne au principe du social, les leçons de l’adolescence, proposée par Dominique Ottavi.
Enfin, la présentation de deux thèses, celle d’Esther Czuk Vel Ciuk – intitulée Les enseignants et l’acte d’écriture : enjeux et perspectives à l’ère de l’éducation inclusive – Approche clinique et monographies croisées entre enseignants des classes et enseignants spécialisés – et celle de Carine Sanches – intitulée Rapport au savoir et care : regard psychanalytique sur l’apprentissage du prendre soin chez un apprenant d’un métier du lien – puis les résumés des articles viennent clore ce numéro.
Bonne lecture,
Louis-Marie Bossard
On trouvera en toute dernière page un appel à contributions pour le numéro 32 en vue d’un dossier intitulé : Métiers du lien face au modèle gestionnaire : où en sommes-nous ? État des lieux et lignes de résistances.